Cantines vertes et responsables : une récente enquête explique comment y arriver

15 septembre 2022 par Guillaume Martin, Inrae Témoignages 486 visites

La question agite depuis des années la sphère politique ainsi qu’une partie des mouvements citoyens, associations de parents d’élèves en tête : la cantine peut-elle enfin se verdir ?

Aujourd’hui, la loi Egalim impose à la restauration collective au moins 50 % de produits de qualité et durables, dont au minimum 20 % de produits biologiques, une diversification des sources de protéines (au-delà de 200 repas par jour) et un renforcement de la lutte contre le gaspillage (au-delà de 3000 repas par jour).

Pourtant, derrière les discours volontaristes, les initiatives vertueuses et documentées tardent à émerger. Nous avons mené l’enquête pour comprendre les chemins de transition empruntés par des restaurants collectifs en France.

Du bio et du local, moins de viande et de produits ultra-transformés

L’achat d’aliments biologiques est un premier levier de transition. L’agriculture biologique produit des aliments plus riches en nutriments, a des effets positifs reconnus sur l’environnement et s’avère plus rémunératrice pour l’agriculteur.

Un second levier consiste à réduire la part des protéines carnées dans les régimes alimentaires afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre induite par l’élevage et d’augmenter les surfaces disponibles pour produire des aliments directement utilisables par les humains.

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Un troisième levier est le développement de stratégies plus circulaires de la fourche à la fourchette avec un approvisionnement alimentaire plus local, une limitation du gaspillage et le recyclage des déchets organiques.

Un dernier levier concerne la limitation des aliments ultra-transformés dont les effets délétères sont aujourd’hui bien établis sur un certain nombre de paramètres de santé, notamment le profil lipidique des enfants.

« Chouette cantine » : vers une restauration scolaire plus durable (Inrae, 2 mars 2022).

Notre enquête auprès de 29 restaurants

Ces différentes pratiques durables peuvent être combinées de multiples façons pour opérer la transition d’un restaurant collectif vers la durabilité. Pour nous assurer de la faisabilité de ces transitions et comprendre leur diversité, nous avons enquêté auprès de 29 chefs cuisiniers et directeurs de restauration collective partout en France.

Avec eux, nous avons reconstitué les chemins de transition empruntés et les changements survenus dans l’environnement du restaurant collectif, les objectifs à atteindre, les ressources disponibles, les pratiques de l’approvisionnement du restaurant en aliments jusqu’à la gestion des déchets.

Nous avons ensuite regroupé les chemins de transition de ces 29 restaurants selon la vitesse, la durée, l’ampleur et la simultanéité des changements de pratiques observés essentiellement sur l’utilisation de produits biologiques, la fréquence des plats végétariens et d’utilisation d’aliments ultra-transformés, et la stratégie anti-gaspillage.

Quatre chemins possibles

Au terme de ce travail, nous avons identifié 4 types de transition :

  • Les défricheurs sont les pionniers de cette transition (années 2000 pour les plus précoces). Ces restaurants ont d’abord et progressivement introduit des produits alimentaires biologiques. Ils ont ensuite étendu le changement à toutes les autres pratiques vertueuses. Leur parcours a duré de 9 à 22 ans et a conduit à un niveau de durabilité élevé.

  • Les affranchis se sont engagés dans la transition vers la durabilité plus tardivement, avec l’ambition d’une transition très rapide (1 à 4 ans). Ils ont procédé à de multiples changements de pratiques très rapidement et simultanément, guidés par une logique systémique, jusqu’à atteindre un niveau de durabilité très élevé.

  • Les navigateurs se sont lancés dans une transition vers la durabilité plus lentement – avec des itinéraires débutés à partir de 2008 qui ont duré de 3 à 14 ans. Ils ont travaillé sur plusieurs modifications de pratiques simultanément mais conservent une marge d’amélioration sur l’utilisation de produits biologiques et d’aliments ultra-transformés.

  • Les bâtisseurs regroupent des restaurants plus complexes : grande taille, multiconvives, sous marchés publics. Ils ont mis en œuvre les transitions les plus précoces mais également les plus lentes (8 à plus de 20 ans), avec des changements de pratiques très progressifs. Ils conservent une marge d’amélioration, eux aussi sur l’utilisation de produits biologiques et d’aliments ultra-transformés.

Voici en image le résultat de ces transitions.

Principales caractéristiques des quatre chemins de transition vers la durabilité en restauration collective (AUT : Aliments Ultra-Transformés). Données 2019. Auteurs

Mobilisation des ressources internes et externes

Dans ces quatre chemins, c’est la disponibilité et la capacité à mobiliser les ressources internes et externes au départ qui déterminent le type de transition opérée. C’est particulièrement le cas des compétences des chefs cuisiniers, de leur engagement en faveur d’une restauration plus durable et de leur aptitude à partager ces compétences et valeurs avec leurs équipes.




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Pour développer ces ressources internes, les réseaux professionnels et les formations ont largement été cités. Le soutien des élus ressort comme une autre condition essentielle, surtout quand il s’agit d’apporter aux chefs cuisiniers la confiance et les marges de manœuvre nécessaires au démarrage de la transition.

Cette confiance est aussi à instaurer pour mettre en place des collaborations pérennes avec les fournisseurs, les agriculteurs locaux en particulier, pour assurer la fiabilité et la stabilité des approvisionnements.

Peu coûteux et source de développement économique

La plupart des cas étudiés ont opéré la transition à faible coût, avec des effectifs constants et les installations en place. Le surcoût sur l’achat d’aliments a été limité, confirmant les résultats de l’Observatoire de la restauration collective bio et durable. Cette maîtrise des coûts s’est fondée sur la baisse du gaspillage, l’introduction de repas végétarien et l’utilisation de produits bruts ou peu transformés.

La transition bénéficie à l’économie locale en développant les filières bio et locales. Parfois, elle a contribué à la création ou à l’expansion de filières. Les chefs cuisiniers agissent alors comme des catalyseurs d’innovation sur les territoires en participant à lever des verrous au sein de ces filières – par exemple en entraînant la mise en place de contrats d’approvisionnement.

En 2020, la restauration collective en France servait 3,8 milliards de repas par an. Fanny Raynier/Ecocert France

La transition conduit par ailleurs à une redécouverte du métier. Elle demande une réorganisation du travail en lien avec l’apparition de nouvelles tâches telles que la désinfection des légumes, la complexification de certaines liée notamment à la logistique par l’accroissement du nombre de fournisseurs, ou la nécessité de faire face à l’incertain quand un produit prévu au menu n’est pas disponible à la date attendue. Tous les chefs cuisiniers enquêtés ont néanmoins fait état d’une satisfaction professionnelle retrouvée.

Un succès à généraliser

Cette étude empirique est la première à rendre compte de la faisabilité des transitions vers la durabilité en restauration collective. Quel que soit le type de restaurant, ils ont réussi à augmenter le recours aux produits biologiques et la fréquence des repas végétariens, et à réduire l’utilisation d’aliments ultra-transformés et le gaspillage en relativement peu de temps, de quelques années à un peu plus d’une décennie dans la grande majorité des cas.

Ces résultats devraient convaincre les décideurs politiques du potentiel de généralisation de ces transitions pour répondre aux défis environnementaux et de sécurité alimentaire.


Lise Pujos, responsable du label Ecocert « En Cuisine », et Marie-Benoît Magrini, ingénieure de recherche à Inrae, Centre Occitanie-Toulouse, ont participé à la rédaction de cet article.

The Conversation

Guillaume Martin est adhérent au Groupement des agriculteurs biologiques et biodynamiques du Gers, membre du Conseil Scientifique de l’Institut technique de l’agriculture biologique (ITAB) et de Bordeaux Sciences Agro.
Cette étude a été financée par Ecocert France et par la Fondation Agropolis.
Lise Pujos, co-autrice de cette étude, est employée par Ecocert France. Les autres auteurs déclarent que l’étude a été menée en l’absence de relations commerciales ou financières pouvant être interprétées comme un conflit d’intérêts.

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