Température, stress et sexe : le changement climatique va-t-il masculiniser les poissons ?

15 mars 2019 par Benjamin Geffroy Débats 287 visites

Le changement climatique affecte directement la survie des individus mais également la distribution des espèces sur Terre. Ces changements conduisent par exemple à de nouvelles migrations, en particulier chez les espèces dites « ectothermes », c’est-à-dire dont la température du corps dépend de la température externe – par opposition aux espèces endothermes, parmi lesquelles figurent les mammifères.

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Lors d’expériences conduites en laboratoire, des demoiselles tropicales ont vu leurs populations se masculiniser suite à une hausse des températures. Mirko Rosenau/Shutterstock

Benjamin Geffroy, Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer (Ifremer)

Un exemple frappant de ces migrations concerne celui de la girelle-paon (Thalassoma pavo) de Méditerranée qui est en train de remonter du sud vers le nord-ouest.

Une autre possible conséquence des variations de température concerne l’évolution du ratio entre mâles et femelles en fonction du climat. Et elle pourrait bien, dans certains cas, conduire à l’extinction d’espèces.

Sexe, température, et survie

Chez de nombreuses espèces – les reptiles et les poissons notamment – le déterminisme du sexe dépend en effet de la température externe !

Si celle-ci évolue de façon homogène sur la planète, certaines populations pourraient bien s’uniformiser en termes de sexe, ce qui aurait un impact direct sur la survie de l’espèce.

C’est d’ailleurs une hypothèse très sérieuse concernant la disparition des dinosaures. Une étude de 2004 suggérait ainsi que la soudaine augmentation de la température terrestre, à la suite du choc d’une météorite, aurait mené à la production d’un seul sexe chez les dinosaures lors de la crise Crétacé-Tertiaire – cette extinction massive survenue il y a 65,5 millions d’années. On ignore toutefois si, comme chez de nombreux reptiles, le sexe des dinosaures était sous influence environnementale.

Une récente étude a d’ailleurs montré que les hausses de température en Australie avaient conduit à la féminisation de certaines populations de tortues.

Demain, tous mâles ?

Certaines populations de poissons seraient aussi exposées à ce phénomène, d’après des observations effectuées en eau douce et dans des conditions expérimentales, simulant une augmentation de la température.

Pour étayer ce phénomène, un suivi de plus de 70 ans dans le lac Thun en Suisse, chez l’ombre commun (Thymallus thymallus), a permis de mettre en évidence une masculinisation croissante des populations (atteignant 85 % de mâles en 2011) en lien direct avec la hausse des températures.

En conditions expérimentales de nombreuses études ont montré une masculinisation après exposition à des températures élevées et ceci chez différentes espèces comme le medaka, le saumon rouge, le pejerrey, le tilapia, le cardeau hirame ou encore le bar européen.

Un suivi de plus de 70 ans dans le lac Thun, en Suisse, a mis en évidence la masculinisation des populations d’Ombres communs. ClearFrost/Gilles San Martin/Flickr, CC BY-NC-ND

Le stress en cause ?

À l’heure actuelle, on ignore toutefois si de telles observations pourraient avoir lieu en milieu naturel chez les poissons marins. C’est tout l’objet de l’étude que nous allons mener cette année à l’Ifremer, en compilant les données de sex-ratio obtenues depuis les années 1980 chez quatre espèces : le bar, la sole, le merlu et le rouget, et en les comparant aux températures de surface en Méditerranée.

Le lien fonctionnel entre température et sexe pourrait être le stress. On sait depuis de nombreuses années que le cortisol – l’hormone majeure du stress – influence la production de stéroïdes sexuels chez les animaux (dont l’homme). Chez les poissons, une hausse des températures peut être traduite par une hausse des niveaux de cortisol, conduisant à un rapport des sexes irrémédiablement biaisé vers les mâles.

Il reste encore beaucoup d’inconnues en ce qui concerne le lien entre température, stress et sexe. Ce sont ces mécanismes que nous nous efforçons d’étudier à l’heure actuelle. Les nouvelles techniques de dosage du cortisol, notamment dans les écailles, pourraient nous permettre d’en apprendre plus en milieu naturel.

L’adaptation de la demoiselle tropicale

Contrairement à de nombreux autres processus directement affectés par la température, il est heureusement possible que des populations de poissons marins parviennent à s’adapter à cette hausse des températures et à réguler la proportion de mâles et de femelles pour atteindre un équilibre, comme cela a été montré expérimentalement chez une demoiselle tropicale.

Chez cette dernière, une hausse soudaine de 1,5°C pendant le développement conduit bien à une production accrue de mâles, mais les descendants de ces populations ont un sex-ratio équilibré. Reste à savoir quelles seront les conséquences d’une augmentation progressive de la température de l’eau sur le sexe des espèces sauvages.

C’est dans cette optique, et en mesurant toutes les attentes liées à ce questionnement, que nous avons décidé d’étudier l’impact de ce phénomène sur les quatre espèces présentes en Méditerranée. En espérant apporter bientôt un maximum de réponses à ce nouveau défi écologique.The Conversationhttp://theconversation.com/republishing-guidelines —>

Benjamin Geffroy, Research scientist, Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer (Ifremer)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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