Comment aller vers des modes et des structures d’organisations plus ouvertes et plus vivants ? La stigmergie est un modèle prometteur, pourtant sa mise en œuvre pratique est loin d’être aisée, particulièrement dans des organisations existantes.
Dans cet article je propose un questionnaire pour aider les organisations et collectifs à évaluer leur fonctionnement existant à travers le prisme des principes clés identifiés préalablement comme nécessaires pour mettre en œuvre une coopération stigmergique.
Sociocracie, Holacracie, entreprises libérées, entreprises agiles, entreprises opales, dans la dernières années, il y a un engouement de plus en plus fort pour les modèles d’organisations en réseau ouvert.
La stigmergie, un mécanisme de coordination indirecte qui permet la construction de structures très performantes dans des environnements hautement complexes et changeants, est pour moi le plus prometteur à explorer.
Si vous découvrez le sujet, voici quelques articles à lire absolument. Si vous connaissez déjà, passez à la section suivante.
Rappels sur la stigmergie
Cet article fait partie d’une série de réflexions sur les modèles coopératifs en réseau ouverts.
- Stigmergie : un nouveau modèle de gouvernance collaborative : Entre le modèle concurrentiel et le modèle consensuel, la stigmergie, une nouvelle méthode de gouvernance inspirée du mode d’organisation des insectes sociaux, pourrait offrir un modèle alternatif plus adapté à la collaboration dans des grands groupes.
- Coopération ouverte : principes et tentatives de définition : Comparaison entre les modes de collaboration employés dans les organisations traditionnelles et les nouveaux usages collaboratifs inventés par les communautés en ligne.
- Réflexion collective sur la stigmergie grâce à la méthode de la connaissance créatrice : un approfondissement de la réflexion sur le concept de stigmergie
- Coopération stigmergique : des exemples d’organisations : une liste d’organisations qui utilisent un modèle de gouvernance proche de la stigmergie et une discussion.
- Principes clés pour mettre en œuvre une coopération stigmergique : une réflexion sur l’application et la mise en œuvre de la stigmergie au sein d’une organisation humaine
Requestionner sa gouvernance pour aller vers la stigmergie
Il n’existe pas à ce jour de recette toute faite et je pense qu’il n’y en aura jamais UNE seule.
Pour autant, travaillant avec des collectifs qui expérimentent autour de ce sujet et membre de la Scop Ozon – entreprise partagée où nous essayons de nous inspirer de ce modèle pour notre fonctionnement – je commence à voir des pistes intéressantes mais aussi des écueils à éviter.
L’un des premiers écueils que je vois est de suivre une recette unique sans l’adapter à son contexte.
Pour éviter cela, plutôt que d’amener des réponses prescriptives, il me semble plus pertinent d’amener des questions utilisables par les acteur·rices pour interroger sur leur fonctionnement existant.
Dans le même esprit de recherche ouverte qui m’anime, je vous livre donc ici un travail en cours, inachevé et ouvert aux propositions d’amélioration. N’hésitez pas laisser des commentaires pour participer à l’enrichir.
Questionnaire d’auto-évaluation organisation et stigmergie
Ce questionnaire s’appuie sur les principes clés pour mettre en œuvre une coopération stigmergique que j’avais identifiés et proposés préalablement. Pour chacun d’entre eux il propose d’abord une mise en contexte, puis une série de questions.
Pour les organisations et réseaux qui souhaiteraient l’utiliser pour évaluer leur fonctionnement, il serait selon moi il serait intéressant de le faire à plusieurs, avec différents profils (pas uniquement les managers ou dirigeants) en commençant d’abord par répondre aux questions individuellement et sincèrement avant de remettre en commun les résultat pour une discussion collective.
OBJECTIF PRÉPONDÉRANT
Un objectif prépondérant est quelque chose d’assez grand et persuasif pour aider les individus et les groupes à surmonter leur différences personnelles pour travailler ensemble à construire ensemble quelque chose de plus important que ce qu’ils auraient pu faire en restant isolés.
- L’objectif prépondérant du groupe est-il clair ? Explicite ? Partagé ? Exprimé simplement ?
- Si l’objectif n’est pas clair, quelle méthode utiliser pour le clarifier ou le co-construire ?
ACTEUR·ICE·S / AGENTS
Avoir un groupe de grande taille augmente la probabilité d’obtenir une correspondance entre les tâches à effectuer et les compétences en présence. Par ailleurs, plus le groupe est diversifié, plus il sera riche et plus la probabilité que les tâches puissent trouver les compétences nécessaires pour être traitées. L’intelligence collective pourra augmenter.
- Quelle est la taille du groupe ? Est il suffisamment grand pour que les tâches puissent être traitées ?
- Est-il diversifié ? Dans quelle mesure ?
- Au delà des traces, existe-t-il des possibilités de communication directe entre les agents ?
- S’il s’agit d’une organisation structurée, existante (association, entreprise, institution), est-il possible pour des acteur·ices extérieures de voir les traces/actions ? De contribuer ? De quelle manière ?
RÈGLES SIMPLES
Les phénomènes d’auto-organisation et d’émergence nécessitent quelques règles simples multipliées par de nombreuses étapes.
- Les règles de fonctionnement sont-elles suffisamment simples pour être compréhensible ?
- Sont elles facilement visibles ?
OUVERTURE A PRIORI
Pour permettre l’auto-organisation, par défaut la plupart des actions doivent être permises et visibles. Pour autant, pour diverses raisons, il n’est pas forcément souhaitable que tout soit accessible à tout le monde tout le temps.
- Quels sont spécifiquement les domaines qui ne devraient pas être ouverts a priori, et pour quelle(s) raison(s) ?
- Sont ils liés à des niveaux d’échelle particuliers (individus, organisation, …) ?
GESTION DES TÂCHES ESSENTIELLES
Si certaines tâches ne sont pas essentielles pour un projet, d’autres en revanche pourraient, si elles n’étaient pas prise en charge mettre en danger le projet ou des individus.
- Quelles sont les tâches essentielles, celles qui, si elles n’étaient pas prises en charge, pourraient mettre en danger le groupe ou des individus ?
- Comment sont-elles prises en charges ? Par quelle(s) personne(s), structure(s), groupe(s) ? Avec quelle gouvernance ?
CONTRÔLE A POSTERIORI
Pour concilier le fait d’ouvrir a priori et permettre des phénomènes stigmergiques tout en garantissant une certaine qualité dans le résultat ou une échéance particulière, il est important d’avoir des mécanismes de contrôle a posteriori.
- Quels sont les différents mécanismes de contrôle a posteriori qui existent dans l’organisation ?
- Quels domaines ou niveaux d’échelle concernent-ils ?
- Sont-ils ritualisés (c’est à dire avec une structure et une périodicité récurrente) ?
COMMUNS
Si toutes les ressources sont verrouillées et qu’une autorisation préalable est nécessaire à chaque fois que l’on veut agir, toute innovation spontanée sera impossible. Les réseaux qui durent s’appuient sur des Communs pour fonctionner et créer de la valeur.
- Où sont les Communs du groupe ?
- Sont ils facilement accessibles, lisibles, utilisables, appropriables, modifiables ?
- Y a t-il une licence libre qui garantit le statut juridique du Commun ? Laquelle ?
ACTIONS/TRACES
La stigmergie est une méthode de communication indirecte qui utilise des traces laissés par des actions dans l’environnement pour favoriser l’auto-organisation d’autres actions.
- Nos actions laissent-elles des traces ?
- Ces traces sont elles faciles à voir/laisser ?
- Quel(s) environnement(s) sert de support aux traces ?
- Quel est le degré d’accessibilité de l’environnement et des traces à l’intérieur et à l’extérieur du réseau/ de l’organisation ?
NOEUDS
Les « nœuds » représentent un pôle d’action qui peut être porté soit par un individu seul soit par un groupe. Cette fragmentation en nœuds ou pôles plus spécialisés permet une croissance plus organique en phase avec les besoins et l’environnement. (les méthodes Sociocracie ou Holacracie utilisent des mécanismes de ce type).
- Quels noeuds existent formellent ou informellement ?
- Sont ils visibles par tous les acteurs/agents ?
- Quelle est la gouvernance, le mode de fonctionnement de chacun de ces nœuds ?
- Par défaut quelles sont les règles de fonctionnement des nœuds (si celle-ci n’est pas explicitement spécifiée) ?
- La raison d’être du nœud est elle clairement exprimée, visible ?
BRANCHES PARALLÈLES
La stigmergie utilise le développement de branches parallèles comme pilier de son fonctionnement, mais ce principe est à l’opposé des valeurs de la plupart des groupes coopératifs qui sont habitués à rechercher le consensus au sein d’un groupe aux frontières établies.
- Comment la notion de branche est elle perçue, comprise, acceptée dans le groupe ?
- Les acteur·ice·s se sentent il·le·s autorisé·e·s à prendre des initiatives spontanément sans consensus préalable ?
AUTO-ORGANISATION
En stigmergie les acteur·ices sont libres de choisir où se positionner et sur quelle tâches se greffer. Ce libre choix a pour intérêt que chaque personne va spontanément se positionner là où il·elle connait le mieux le sujet, où il·elle se sent plus en phase avec le projet et où ses compétences seront les plus utiles.
- Chacun·e se sent il·elle autorisé·e à choisir où travailler ?
- Y a t-il des injonctions contradictoires entre l’injonction à être autonome/s’auto-organiser et une hiérarchie formelle ou informelle, explicite ou implicite ? (Par exemple : un supérieur hiérarchique qui demande de l’autonomie, mais impose des choix).
- Quels sont les domaines où le bénéfice potentiel de l’auto-organisation est supérieur aux risques d’échecs ?
- Quels sont les domaines où le risque d’un échec de l’auto-organisation est supérieur aux potentiels bénéfices ?
- Existe il une charte ou autre document qui décrit précisément dans quels cas l’auto-organisation est possible, souhaitée, encouragée, découragée, interdite ?
ÉTAPES/CYCLES
Comme tout système complexe, l’émergence de comportements collectifs cohérents se fait via une boucle où un grand nombre d’acteur·ices qui interagissent en suivant des règles simples produisent des actions, le tout multiplié par un grand nombre de cycles.
[grand nombre d’ACTEUR·ICE·S + RÈGLES SIMPLES = ACTIONS/TRACES] x grand nombre de CYCLES = comportement collectif cohérent/STIGMERGIE.
Peu discutée dans mes articles précédents, cette composante cyclique est essentielles pour émergence de stigmergie.
- Peut on concevoir des stratégies pour augmenter le nombre de cycles dans un temps équivalent ? (la permaculture utilise des stratégie de ce type)
- Existe il des mécanisme d’évaluation du comportement du système, par exemple des rétrospective pour rendre visible ce qui marche, ce qui serait améliorable ? (les méthodes agiles utilisent des mécanismes de ce type)
A suivre
Comme je l’indiquai plus haut ce questionnaire est un travail en cours, inachevé et ouvert aux propositions d’amélioration. N’hésitez pas laisser des commentaires pour participer à l’enrichir.
Plus tard j’envisage que ce questionnaire pourrait être décliné sous une autres forme plus visuelle et simple d’usage.
J’envisage aussi depuis un certain temps l’écriture d’un ouvrage consacré à la stigmergie, pour rester informé, utilisez le formulaire de bas de page pour vous abonner aux actualités.
Enfin si vous êtes intéressé pour faire connaître la stigmergie dans votre organisation, je donne des conférences sur le sujet. Contactez moi !
Cet article a nécessité 9h de rédaction.