« En direct des espèces » : avez-vous vu Obama dans votre jardin ?

13 mars 2017 par Yvan Billa R&D 223 visites

Voilà un titre qui vaudra à cet article des visiteurs qui n’auront pas prêté attention à la rubrique – il s’agit bien d’espèces, de biologie, et en aucun cas de politique, même à une époque où les frasques du nouveau président des États-Unis défrayent la chronique. Obama, le précédent, a peut-être décidé de visiter la campagne française pour se ressourcer ?

Nous débutons avec cet article une collaboration avec les chercheurs de l’ISYEB (Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité, Muséum national d’Histoire naturelle, Sorbonne Universités). Ils proposeront chaque mois une chronique scientifique de la biodiversité : « En direct des espèces ». Objectif : comprendre l’intérêt de décrire de nouvelles espèces et de cataloguer le vivant. The Conversation

Image 20170304 29027 1rna40p
Obama nungara, spécimen trouvé à Paris en décembre 2013. Xavier japiot/Wikipedia, CC BY-SA

Jean-Lou Justine, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) – Sorbonne Universités

En fait de président, il s’agit d’un ver plat, ou Plathelminthe, devenu célèbre parce qu’il envahit toute l’Europe depuis quelques années. Au laboratoire, nous avons étudié, depuis 2013, la progression de cette espèce dans toute la France, avec, au début de notre étude, un handicap : l’espèce n’avait pas de nom !

Un ver plat grand comme le doigt

En mars 2013 donc, un amateur de photographie d’insectes, Pierre Gros, trouve dans son jardin de Cagnes-sur-Mer une espèce de ver plat, puis une autre : des animaux grands comme le doigt, aux couleurs étranges. Grâce aux réseaux sociaux, ses photographies me parviennent et je reconnais des vers de la famille des Geoplanidae. À l’évidence, des espèces introduites, car les quelques Geoplanidae européens sont petits et très discrets.

Très vite, grâce aux sciences participatives, des nouvelles arrivent. Une espèce, en particulier, semble très répandue : elle est longue de 5 à 7 centimètres, plate et marron. On sait maintenant que plus de 60 départements sont infestés, et dans certaines communes, mes correspondants me parlent de centaines de vers, ou de récoltes quotidiennes de dizaines d’individus qui ne font pas diminuer l’envahissement de leur jardin.

Prédateurs envahissants

Pourquoi est-ce important de savoir si cette espèce est dans nos jardins ? Parce que les vers plats de cette famille sont des prédateurs, et que cette espèce semble capable de consommer des vers de terre. Quand on connaît l’importance écologique des vers de terre, qui sont les « architectes du sol », il y a de quoi s’inquiéter. Une autre espèce, le ver plat de Nouvelle-Guinée Platydemus manokwari, est tristement célèbre car elle fait partie des « cent espèces exotiques les plus envahissantes au monde ». C’est un prédateur d’escargots – nous l’avons signalé dans une serre en France en 2015, et aussi dans de nombreux territoires dans le monde en 2016.

Pendant trois ans, j’ai dû continuer à communiquer sans utiliser de nom latin… Comment ? Pas de latin ? Eh oui. Ce n’est qu’en 2016 que l’espèce a enfin reçu un nom latin, Obama nungara, et nous voilà donc revenus à Obama, ce qui demande quelques explications. Bonne nouvelle pour nos lecteurs qui n’aiment pas la biologie mais qui ont été attirés par le titre : l’explication leur donnera une bonne raison de quitter cette lecture.

Fin 2013, une étude par une équipe brasilo-catalane compare les espèces de vers plats de l’Amérique du Sud et propose un nouveau nom de genre : Obama. Un genre, pour un naturaliste, c’est une catégorie dans laquelle on va rassembler des espèces. Même si on n’y connaît rien, c’est facile de reconnaître un nom de genre dans un texte : il y a toujours une majuscule, alors que le nom d’espèce n’en a jamais. Un exemple : Homo sapiens – vous en avez sûrement entendu parler.

Obama ! Italiques ou pas, nous y sommes, enfin : on parle bien de politique ! Eh bien non, ou alors pas vraiment. Comme l’exigent les règles de la nomenclature zoologique, les auteurs de l’article expliquent l’étymologie de leur nouveau nom : il serait basé sur deux mots de la langue Tupi, une langue amérindienne du Brésil, qui signifie respectivement feuille (oba) et animal (ma) – soi-disant parce que ces animaux sont plats comme des feuilles. Déception… pas de président américain dans cette histoire ! Là, je vous laisse juge… je ne parle pas Tupi, mais je suis sûr qu’il y avait plein d’autres idées possibles pour trouver un nom, et je suis bien prêt à parier que le hasard de l’homonymie entre Obama (en italiques) et Obama (le président) n’est pas du tout un hasard.

Alors, pour notre espèce envahissante en France, il était donc facile de lui donner un nom latin, puisqu’elle fait partie du genre Obama, et qu’il suffisait de déterminer, parmi la trentaine d’espèces du genre, celui qui lui correspond ? Non, pas facile du tout. Parce que l’espèce trouvée en France, et aussi en Angleterre, Espagne, Suisse, Italie, n’avait pas été décrite. Elle n’avait pas de nom. Comment, une espèce si abondante, pas nommée, pas décrite ? Comment est-ce possible ?

La tête d’Obama nungara est pourvue de nombreux yeux – les petits points noirs le long du bord du corps. Ce spécimen a été photographié dans son pays d’origine, le Brésil. Piterkeo/Wikipedia, CC BY-SA

Ignorée sur son territoire d’origine

Cela parce que notre espèce de ver plat est une espèce exotique envahissante – ou EEE si vous aimez les acronymes (j’ai vérifié – rien de politique ne correspond). Et la caractéristique d’une EEE, c’est justement d’être très abondante, surabondante, et d’envahir son nouveau territoire, alors que dans son pays d’origine, elle est discrète et même parfois, franchement rare. Donc, notre espèce envahissante était passée inaperçue des chercheurs dans son pays d’origine ! Comme le frelon asiatique ou la punaise diabolique, cette espèce a trouvé en Europe un milieu accueillant, riche en nourriture, débarrassé des parasites et des prédateurs qui limitent sa prolifération dans son aire d’origine. Chez nous… aucune limite !

En 2016, un groupe d’auteurs brésiliens, britanniques et catalans décrivent enfin notre espèce, ils la placent dans le genre Obama, et lui donnent un nom latin : Obama nungara. Encore un peu de langue Tupi : le nom d’espèce, nungara, signifie « similaire » parce que l’espèce ressemble beaucoup à une autre. Pour la décrire, les auteurs ont comparé des spécimens d’Europe et du Brésil. Si l’espèce n’avait pas envahi l’Europe, il est probable qu’elle serait restée ignorée et anonyme encore longtemps.

Et, parce que les noms courts se retiennent mieux, la question que l’on peut poser à nos jardiniers français est donc bien : avez-vous vu Obama dans votre jardin ? Rien, là, de politique – à condition de ne pas oublier les italiques.

Jean-Lou Justine, Professeur de parasitologie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) – Sorbonne Universités

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Licence : CC by-sa

Contacter l’auteur

Une initiative de l’association CIRSES avec un résau de partenaires